Vue sur la mer, rouge

C’est au salon du livre de Carhaix que j’ai fait l’acquisition de ce roman de Michèle Astrud, publiée aux éditions Diabase.

Michèle, la narratrice, est une jeune femme en fuite. Lorsque l’histoire débute, elle vient visiblement de tuer un homme dans une chambre d’hôtel qu’elle s’empresse alors de quitter discrètement. Choisissant au hasard une destination, elle saute ensuite dans un train et part refaire sa vie ailleurs… Trouver une autre chambre, dans un autre hôtel, face à un autre paysage, dénicher un autre boulot qui lui permettra de survivre encore quelques mois.

Je dois dire que les premières pages de ce roman m’ont séduite car il est extrêmement bien écrit, même s’il regorge de descriptions qui rendent parfois la lecture un peu trop fourmillante de détails à mon goût. Mais lorsque j’ai compris que la narratrice était illettrée, ma mâchoire est tombée sur mes cuisses, mes yeux sont sortis de leurs orbites et les bras m’en sont tombés… Heeeeiiiin? Alors là, ça manque singulièrement de cohérence, me suis-je dit. Comment peut-on s’exprimer de façon si châtiée lorsqu’on est une jeune fille qui ne sait ni lire ni écrire, qui a rompu tout contact avec sa famille et vit à la marge de la société?

Les éboulis sombres des roches noires libérées de la falaise parsèment la grève, l’animant d’une étrange géographie d’îlots, de moraines, de rigoles et de lac de retenue, autour desquels se dispersent les silhouettes pointillistes des promeneurs.

La Moon de Maud Lethielleux me paraissait bien plus crédible, avec ses mots de guingois et pourtant poétiques… Ce choix de faire de Michèle la narratrice enferme, en effet, le personnage dans une gangue policée, sage et raisonnable qui ne colle pas avec son profil. La violence qui est en elle ne s’exprime jamais que par le petit couteau qu’elle sort parfois pour se défendre. Et même quand elle règle un peu ses comptes avec son frère, ses mots restent toujours polis, ses gestes maîtrisés. Ce qui fait qu’on n’y croit pas, à la violence et la révolte de cette Michèle… Il y a un décalage qui empêche tout effet de réel.

Ainsi, après onze ans d’éloignement Michèle et son frère se retrouvent, de nuit, dans un camping désert, à mille milles de toute région habitée et ça donne des dialogues de ce style:

Il pose son bras droit sur mon épaule, se penche, s’approche mais n’ose pas m’embrasser.

-Viens, je vais te guider jusqu’au bungalow.

-Tu n’as pas de lampe de poche?

– Non, je l’ai oubliée. Et toi, tu n’en possèdes pas non plus? Pourtant, tu es une routarde, tu devrais avoir l’habitude.

– J’en avais une ce matin mais je l’ai perdue.

– Aucune importance, il y a de la lumière là-bas.

[…]

– Tu ne te sens pas bien? Tu sembles épuisée?

– Je suis un peu… désorientée. Troublée de me retrouver face à toi, après tant d’années d’errance et de solitude.  Et si fatiguée.

– Il faut te reposer. Va dormir dans la chambre. J’étais déjà couché. Les draps doivent être encore chauds, j’espère que ça ne te gêne pas?

Je secoue la tête. Non, les draps encore chauds, ça ne me dérange pas.

Les fils qui constituent la trame de ce livre sont bizarrement relâchés. S’il est légitime que la narratrice mène sa vie au petit bonheur la chance, ça l’est moins quand c’est l’auteure qui déroule son histoire. Du cadavre de la première page, on ne saura rien. De ces hommes-prédateurs que Michèle ne cesse de croiser, non plus. Et le seul qui se comporte d’une manière intéressante (l’homme à la montre), on le perd très vite en cours de route. On ne comprendra pas bien non plus pourquoi l’héroïne ne cherche pas à rattraper le temps perdu en suivant des cours de français qui lui permettraient de vivre normalement. Les scènes s’enchaînent mais ne mènent nulle part…

Quant à l’épisode final, il arrive comme un cheveu sur la soupe après l’organisation d’un stratagème familial aussi incroyable qu’incompréhensible… Des pistes sont exposées mais pas suivies, d’autres sont suivies mais elles semblent tomber dans l’histoire comme un masque à oxygène dans la carlingue d’un avion de ligne en pleine dépressurisation…

En conclusion, que dire sinon que cette lecture m’a frustrée, me laissant le goût amer du gâchis. Michèle Astrud a une très belle plume mais elle ne laisse aucune chance à ses personnages. Ceux qui pourraient se révéler intéressants sont oubliés aussitôt évoqués. Et les autres nous réservent peu de surprises : le père indifférent et mutique, la mère anxieuse et manipulatrice, le patron priapique, le conducteur à-vot’-bon-cœur, etc, etc… L’incompréhension familiale qui est à l’origine de la fugue de la narratrice est un peu légère pour expliquer son geste, et un peu trop survolée pour qu’on comprenne vraiment les liens qui unissent si mal ses membres. Quant à la fin, elle injecte une bonne dose de tragédie au récit et lui donne peut-être (artificiellement) plus de poids, mais ce faisant, elle laisse aussi le lecteur totalement désemparé, avec le sentiment agaçant d’être passé à côté d’une histoire qui aurait pu être bien… et ne sait que finir mal.

L’avis d’Yvon, plus positif que le mien… Peut-être, pour finir, est-ce moi, la Terrible?

Vue sur la mer, rouge, de Michèle Astrud, éditions Diabase, 17€

11 réflexions sur « Vue sur la mer, rouge »

  1. Gwen la terrible… ça sonne moins bien ! Mais il est certain que tu n’es pas complaisante dans tes avis.
    J’avais hésité entre celui-ci et celui que j’ai fini par prendre. On verra si mon choix me satisfait plus que le tien… Reste à espérer que ta seconde acquisition te plaise davantage !

  2. Bonsoir;
    Une petite réponse de la part de l’auteure. Je respecte tout à fait votre jugement personnel sur le livre. Je tenais juste à vous signaler mon grand étonnement concernant votre réaction face à l’illettrisme de la jeune fille. Il ne l’empêche pas, bien au contraire, de ressentir des émotions riches, variées, d’être sensible à la beauté des paysages, à cette quête d’absolue qui gouverne sa vie. C’est volontairement que j’ai voulu utiliser cette langue poétique, pour en être digne.
    Cordialement,
    Michèle Astrud.

    1. @ Michèle Astrud : Bonsoir et merci de votre visite et de votre commentaire. Le problème à mes yeux n’est pas le ressenti du personnage – loin de moi l’idée que l’illettrisme empêcherait d’éprouver des émotions profondes, riches et variées – mais sa manière de l’exprimer qui est forcément limitée puisqu’elle ne peut pas faire ce travail permanent sur le langage, que permet la lecture notamment. Si vous aviez adopté le point de vue d’un narrateur omniscient, cela ne m’aurait absolument pas choquée mais là, non, ça ne pouvait pas passer. Mais cela relève évidemment de la plus pure subjectivité et mon avis n’engage que moi… Yvon, lui, n’a apparemment pas été gêné par ce décalage. Bien cordialement.

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