Archives pour la catégorie Exotique

De l’eau pour les éléphants

Où l’on retrouve Sylire en tentatrice professionnelle…

9782253125808-TJacob Jankowski, vieillard de quatre-vingt treize ans, use ses dernières années en maison de retraite. Sur son lit, seul et loin de sa famille, il se souvient…

Jacob, à peine vingt-trois ans, perd en quelques jours tout ce qu’il avait : ses parents meurent dans un accident, la maison hypothéquée ne lui appartient plus, et, profondément choqué, il ne parvient pas à passer le dernier examen qui lui permettrait d’être officiellement vétérinaire.

Ayant perdu tous ses repères, il prend la route, part à l’aventure. Il finit par tomber sur un cirque. Nous sommes dans les années 30. A cette époque, les cirques américains sillonnaient le pays à bord de trains interminables. Jacob parvient à se faire embaucher comme soigneur. Commence alors pour lui une véritable  épopée, au milieu des animaux sauvages, des gens du cirque, des « freaks » et des artistes. Bientôt il succombe au charme de Marlena, l’écuyère et se fait deux amis : Walter, un nain et Rosie, une éléphante.

Sara Gruen s’est beaucoup documentée. Elle réussit parfaitement à restituer l’ambiance des cirques d’autrefois et de ces années dures, où la dépression économique faisait encore sentir ses effets. Dans la poussière et les paillettes, montrant l’endroit, et surtout, l’envers du décor, elle nous fait partager l’extraordinaire vie de Jacob. Un roman captivant qui aborde un sujet original.

De l’eau pour les éléphants, Sara Gruen, Le Livre de poche.

Rendez-vous à Sydney…

Dans ce roman, dont l’action se situe à Sydney, non loin de l’Opéra, quatre personnes, quatre trajectoires se croisent. Il y a Catherine, récemment arrivée d’Irlande et qui ne se remet pas de la mort de son frère. Il y a Ellie, une jeune femme qui s’apprête à retrouver James, son amour de jeunesse, qu’elle n’a pas revu depuis des années. Et enfin Pei Xing, d’origine chinoise et immigrée elle, aussi. Elle a survécu à la Chine maoiste et aux gardes rouges.

30156390-MDans ce quartier de Circular Quay (photo ci-dessus), ces quatre personnes vont ressentir la même chaleur, humer les mêmes embruns salés, admirer l’Opéra, coquillage blanc sur le bleu de la mer et observer la silhouette élégante du pont. Chacun a des souvenirs douloureux, un passé qui a du mal à passer. A l’issue de cette journée, certains trouveront la force d’aller de l’avant. Et d’autres pas…

Avec une plume élégante et précise, Gail Jones évoque ces quatre destins particuliers et à travers eux, son pays où l’immigration tient une place importante. Délicatement, elle introduit des échos d’une histoire à l’autre. C’est une lumière jaune, un livre – le Docteur Jivago – ou bien d’autres menus détails.

Cathulu qui m’a prêté ce roman l’avait hérissé de post-it. Moi, je n’ai retenu qu’un passage. Le voici :

James songea par la suite que la timidité en société était une manière de marquer une fausse distance derrière laquelle existait la vraie vie, celle qu’il avait découverte avec Ellie. Qui sait si toutes les vies ne se déroulaient pas ainsi : des affinités sues mais quasiment jamais exprimées, vibrantes et se déplaçant sous les rencontres et les conversations quotidiennes. Un homme croise une femme dans un couloir, échange avec elle de menus propos devant la machine à café, manifeste une scrupuleuse et austère retenue, et se rend compte par la suite qu’une espèce de code est passé entre eux. Un heureux frisson de reconnaissance qui trouve sa totale expression ainsi, seulement ainsi, quand deux visages se touchent.

Ce passage est en quelque sorte le cœur du livre, celui qui résume tout le reste.   On n’a pas si souvent l’occasion de découvrir des auteurs australiens. Ces Cinq carillons sont un bon moyen de poser un pied sur le sol de ce pays.

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Cinq carillons, Gail Jones, Mercure de France. 

Merci Cath! 😀 Et en prime, le billet de Clara.

« Tout est plus doux au Japon.

Même les éponges à récurer ».

Sous forme d’abécédaire, Elena Janvier nous propose dans cet ouvrage au titre interminable – Au Japon ceux qui s’aiment ne disent pas je t’aime – quelques comparaisons emblématiques, instructives ou poétiques entre le Japon et la France. On découvre, on sourit, on s’amuse. Le livre est aussi léger que le propos mais cette balade impromptue entre Orient et Occident nous révèle autant qu’elle nous fait découvrir des aspects méconnus du pays du Soleil Levant.

Deux extraits (spécialement pour les blogueurs…) :

Bureaux de poste

Dan les bureaux de poste japonais, il fait bon l’hiver et frais l’été. Le chœur des préposés vous souhaite la bienvenue. De discrets haut-parleurs diffusent un programme de musique light classic, les sièges sont confortables et pourvus d’une tablette près de l’accoudoir pour y déposer votre sac. Sur le comptoir, il y a des stylos, un tampon encreur pour apposer votre sceau, une petite éponge humidifiée pour coller les timbres ainsi que différentes paires de lunettes pour vous permettre de compléter commodément les imprimés.

Ici, c’est différent.

Livres de poche

Les livres de poche japonais sont de vrais livres de poche. Minces et compacts, dix centimètres sur quinze tout au plus, on les glisse aisément dans sa poche. On a beau être un livre de poche sans prétention, au Japon on a tout de même sa dignité : on porte jaquette et marque-page, couverture finement toilée et parfois même un véritable signet tissé en pages centrales. Au moment de régler votre achat, le libraire vous propose de couvrir votre livre, pour éviter de le salir dans les transports ou de l’endommager au contact des divers objets de votre poche ou de votre sac.

Un voyage immobile et idéal pour ceux et celles que ce pays lointain attire et fascine. Un vrai dépaysement.

Un livre repéré chez Keisha, la grande voyageuse…

Au Japon, ceux qui s’aiment ne disent pas je t’aime, Elena Janvier, Arléa, 13€

Fleur de Sable

Trois amis, unis depuis l’enfance par les bêtises, les fous-rires, les plaisanteries commises ensemble. Christian, Paolig et Germain (sans oublier la sœur de ce dernier, Elisa).

Ça se passe à Douarnenez au milieu des années 50. A cette époque, la ville est encore un grand port de pêche à la sardine et la guerre faire rage entre les pêcheurs de Douarnenez, partisans du filet droit et ceux du Cap (entendez ceux d’Audierne et des environs, et non pas la ville d’Afrique du Sud…) qui utilisent un filet tournant. La mer est au centre de toutes les discussions, la pêche également et il n’existe pas un garçon que cet univers viril et aventureux ne fasse rêver. Aussi, quand, quelques années plus tard, une commande de langoustier est annulée dans le chantier du père de Germain, les trois amis décident de s’associer et de partir pêcher la langouste en Mauritanie. Il faut dire que cette expédition sera aussi un moyen d’oublier les soucis « terriens » (que je ne dévoile pas pour ne pas déflorer l’histoire…).

Fleur de Sable, c’est le récit de cette amitié à trois et de cette aventure que constituait alors la pêche en Mauritanie.

J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce livre. Les premières pages entamées, j’étais déjà dans l’histoire. Ayant eu l’occasion de discuter avec des gens âgés, qui avaient pratiqué ce type de pêche et bien connu la Mauritanie, je peux vous assurer que Nathalie de Broc s’est solidement documentée pour écrire ce roman. Elle a même été jusqu’à faire le dernier voyage de la Marie-Jeanne, pour donner plus de vraisemblance à son récit et à se rendre en Mauritanie pour découvrir quelle était l’odeur du désert… Christian, Germain et Paolig sont tour à tour énervants et attachants car ils sont terriblement humains. Avec leurs rêves, qui les portent ou les entravent, c’est selon, leurs regrets, les non-dits dont ils s’entourent… La différence qui grandit peu à peu entre les marins et ceux qui restent à terre est bien montrée, elle aussi. L’auteur a même réussi à glisser quelques préoccupations écologiques dans le récit et décrit admirablement bien les caravaniers du désert.

Comme toujours, ai-je envie de dire, mais ce terme est usurpé car je n’ai lu, pour le moment que deux livres de Nathalie de Broc, il y a l’histoire, rondement menée et puis des thèmes, qui la traversent, plus ou moins développés et qui donnent toute sa profondeur à l’histoire : l’amitié, la trahison, l’amour partagé ou non, le handicap, l’avidité, la patience, les rêves qui se fracassent contre la réalité… En fait, le récit et les personnages sont tellement prenants qu’on regrette que ce roman ne fasse que trois cents pages! Depuis que je l’ai lu,  je ne me promène plus tout à fait de la même façon dans Douarnenez et, parfois, j’ai presque l’impression d’avoir croisé Elisa, Germain et les autres…

L’avis d’Yvon (le Terrible)

Fleur de Sable, Nathalie de Broc, Presses de la cité, 19€90

Mémoires de porc-épic

Je connais peu d’auteurs africains. Par contre, je suis souvent allée écouter des conteurs africains qui n’avaient pas leur pareil pour enchanter leur auditoire avec les histoires de M’bakatré La Hyène, Mibero le petit garçon distrait ou de l’Arbre qui parle. Aussi, quand j’ai voulu découvrir l’œuvre d’Alain Mabanckou – sur les conseils insistants de Constance – je me suis dit que Mémoires de porc-épic était bien adapté. Dans ce roman, en effet, l’auteur s’inspire d’une légende populaire selon laquelle chaque être humain possède un double animal. On n’est alors pas très loin du conte…

Quand le roman débute, le maître de porc-épic, Kibandi, vient de mourir. Curieusement, son double ne l’a pas suivi dans l’au-delà. Après avoir erré un moment, l’animal se retrouve au pied d’un vieux baobab auprès duquel il soulage sa conscience et raconte sa drôle d’histoire. Il explique la différence entre doubles nuisibles et doubles pacifiques, la manière dont un jeune humain se retrouve lié à un animal, les rapports qui se créent entre eux. Il confesse aussi les meurtres qu’il a dû commettre pour le compte de Kibandi, à l’aide de ses piquants.

Une fois encore, la quatrième de couverture en dit trop et évente l’intérêt du récit. Si j’ai retrouvé dans ce roman, à certains moments, la fantaisie et la malice propres à une manière « africaine » de raconter les histoires, de donner naissance à des proverbes à tomber par terre, j’ai par contre été déçue par le manque de dynamisme global. Au début, la curiosité aidant, on suit l’histoire de porc-épic, impatient de savoir comment tout a commencé mais bien vite, l’intérêt s’émousse. On cherche en vain le « rocambolesque », le « truculent et le picaresque » vantés sur la couverture de ces aventures mi-humaines mi-animales.

Mais ce n’est pas bien grave. Comme le dit si justement un vieux porc-épic dans cette histoire, ce n’est pas parce que la mouche vole que cela fera d’elle un oiseau.

Proverbe qu’on peut interpréter de deux manières différentes.

Ce n’est pas parce que la quatrième de couverture fait du vent que le livre plaira à tout le monde.

Ce n’est pas parce qu’une première rencontre est ratée que toutes les autres le seront…

Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou, Seuil, 16,50€

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

Dans cette rentrée littéraire, le livre de Mathias Enard attire l’œil. D’abord en raison de son titre, pour le moins surprenant. Puis par la beauté de sa couverture qui donne des envies de voyage et de méditation au crépuscule. Que cachent donc ces mystères bleus?

S’appuyant sur quelques indices tangibles : l’invitation d’un sultan, quelques lettres, l’esquisse d’un projet de pont, une dague exposée dans une vitrine et la biographie d’un poète, Mathias Enard laisse aller son imagination et déroule une histoire originale. Il raconte, en effet, en de courts chapitres, les quelques semaines que Michel-Ange a passées, en 1506, à Constantinople. Bravant la colère  et la puissance du pape Jules II qui a froissé son orgueil, l’artiste se rend, en effet, en terre musulmane à l’invitation du sultan Bajazet. Ce dernier rêve de faire construire par le sculpteur un pont sur la Corne d’Or.

Michel-Ange, homme de la Renaissance, découvre les beautés de Constantinople : Sainte-Sophie, la bibliothèque du Sultan, les jeux de lumière dans les bâtiments, l’écriture arabe, la musique et la danse… Cherchant d’abord à s’imprégner de l’atmosphère, il parcourt la ville en compagnie d’un interprète et d’un poète que le vizir a mis dans ses pas. S’ensuivra une amitié étrange, des hésitations, une trahison et le miracle de la création.

Très bien écrit, ce livre a pour lui l’originalité de son sujet, l’équilibre qu’il parvient à produire entre fiction et réalité, à la manière de ce pont qu’on imagine enjamber le Bosphore et le personnage de Michelangelo, célèbre déjà mais pas encore au point que l’on sait, dont la personnalité, tout en demi-teintes, affleure sous les mots. Seul défaut : sa brièveté! Eh oui, on commence à peine à s’attacher aux personnages que l’épilogue déjà apparaît…

Merci à Dialogues Croisés

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Mathias Enard, Actes Sud, 17€

Ru

L’auteur de Ru, Kim Thuy, a quitté le Vietnam avec d’autres boat people à l’âge de dix ans. Elle vit à Montréal depuis une trentaine d’années. Après avoir écrit plusieurs romans, elle consigne ici une partie de ses souvenirs.

On a déjà beaucoup parlé du livre de Kim Thuy dans la blogobulle… Comment rester insensible, en effet, à la plume, tout en pudeur retenue de l’auteur, à ses souvenirs éparpillés entre le Québec et le Vietnam? Pour dire ce que fut son enfance et le traumatisme de l’exil, Kim Thuy use de quelques images symboliques, de mots bien choisis, d’impressions fugaces, d’odeurs et de couleurs. C’est un acte de mémoire, un témoignage mais qui reste fragmentaire, à la manière d’un kaléidoscope.

De toute manière, depuis notre fuite, nous avons appris à voyager très léger. Le monsieur assis à côté de mon oncle, dans la cale du bateau ne possédait aucun bagage, même pas un petit sac avec des vêtements chauds, comme nous. Il transportait tout sur lui. Il avait un maillot de bain, un short, un pantalon, un T-shirt, une chemise et un chandail sur le dos, et le reste de ses orifices : des diamants encastrés dans ses molaires, de l’or sur les dents et des dollars américains enroulés dans l’anus.

L’absurdité de la guerre, la peur, la solidarité, l’incompréhension, le goût de la tradition, le mélange des genres, la violence des souvenirs… ce livre regorge de ces fils qui tressent une vie. Il se lit comme un chant, auquel peuvent répondre d’autres chants. Comme par exemple ce que m’a raconté un jour un marin d’ici, qui travaillait alors sur un pétrolier :

Lors d’un voyage à bord du Chinon, nous avons croisé un boat-people. Nous revenions de Corée. Il était environ dix-neuf heures. Nous étions, pour la plupart, en train de dîner. Tout à coup, les alarmes d’incendie se sont déclenchées. Tout le monde s’est précipité sur le pont. Nous nous demandions ce qui se passait. Il semblait y avoir un feu sur l’eau. C’était un jonque pleine de réfugiés. Ils avaient un fût, à la poupe, dans lequel ils avaient fait un grand feu pour être visibles sur la mer. Arrêter le pétrolier a pris un certain temps. Nous avons dû faire des tours autour de la jonque avant qu’elle puisse accoster. La paroi du pétrolier étant haute d’une trentaine de mètres, nous avons débarqué les enfants à l’aide de sacs postaux, attachés à une corde. Je me souviendrai toujours du regard des enfants quand j’ai ouvert les sacs, sur le pont!

Trente-sept personnes sont montées à bord. L’un des nôtres a fait couler la jonque pour ne pas laisser de traces et ne pas risquer que les familles restées au Vietnam soient inquiétées par les autorités. Les réfugiés étaient tous traumatisés et dans un état de déshydratation avancée. Ils n’avaient plus ni eau, ni vivres à bord. Quelques jours auparavant, des pirates avaient croisé leur route. Des femmes avaient été violées.

Après avoir contacté un médecin, nous avons passé la nuit à leur presser des oranges pour les alimenter doucement. Ils sont restés à bord une quinzaine de jours, jusqu’à ce que nous atteignions Singapour. Leur présence à bord a mis une certaine animation. Au bout de quelques jours, les  réfugiés ayant retrouvé leurs forces, je suis allé demander au commandant l’autorisation de les faire participer à certaines tâches, notamment la vaisselle. Avec le surplus de personnes à bord, le postal, celui qui était chargé du service, était en effet débordé. Des femmes se sont portées volontaires pour aller essuyer la vaisselle. Du coup, les assiettes n’avaient pas le temps d’être lavées qu’elles étaient déjà sèches! Et quelle ambiance dans les cuisines!

Le livre de Kim Thuy se lit comme un fragment de littérature, un morceau d’Histoire, des pépites enchâssées dans la mémoire. Une très belle lecture pleine d’humanité.

Ru, Kim Thuy, Liana Levi, 14€

L’avis de Sylire chez qui vous trouverez d’autres liens

L’empoisonneuse d’Istambul

Depuis que Le Che s’est suicidé, je suis toutes les aventures du commissaire grec Kostas Charitos. Il faut dire que dans la famille, on a un petit faible pour la Grèce et tout ce qui s’y rattache. Il était donc impossible de passer à côté de ce policier athénien, amateur de souvlakis et de tyropita, flanqué d’une femme, Adriani, un peu compliquée sur les bords et qu’il ne manie pas toujours avec le doigté qu’il met dans ses enquêtes et gaga de sa fille unique, Katérina, qui fait de lui ce qu’elle veut… Eh oui, ils sont comme ça, les papas grecs, fous de leur fille (j’ai des noms!).

Cette cinquième enquête commence pourtant  presque bien. Kostas et sa femme sont en vacances à Istambul. Bon, d’accord, c’est surtout pour se remettre du refus de leur fille de se marier à l’église et se changer les idées… mais enfin, le tourisme agit comme un baume apaisant sur le cœur des deux parents mortifiés. Adriani fait les boutiques et Kostas se régale de pâtisseries très sucrées… Jusqu’au jour où le commissaire est abordé par un écrivain grec qui cherche à retrouver la nourrice qui l’a élevée. Maria, une nonagénaire, semble s’être volatilisée depuis son arrivée à Istambul. Or, il semblerait qu’elle ait quité la Grèce juste après avoir empoisonné son frère. Bientôt, on trouve un second cadavre… La vieille dame aurait-t-elle perdu la tête?

Pour éviter tout incident diplomatique entre ces frères ennemis que sont la Turquie et la Grèce, Charitos est prié de collaborer discrètement à l’enquête de son alter ego turc, Murat, et de veiller à ce que les meurtres ne créent pas de tensions…

Voilà un polar comme je les aime (même si j’avoue ne pas être totalement objective sur le coup…). De l’humour, beaucoup d’humour. Quand on connaît un peu la Grèce et ses habitants, on savoure les commentaires in petto de Charitos, son attitude, ses réactions, son côté « méditerranéen ». Surtout dans cet ouvrage où la traditionnelle animosité greco-turque transpire de manière parfois comique… Des cadavres mais pas de scènes sanglantes. Des personnages secondaires savoureux (Adriani et ses crises, Guikas, le supérieur du commissaire, les voyageurs qui font partie du groupe… ). Bref, un bon moment de lecture, une enquête menée l’air de rien et une fin qui, telle une note finale, donne toute sa profondeur au mouvement…

Extraits :

Charitos et les complexes. Il a la trentaine, une stature sportive et un air ironique qui me tapent déjà sur le système car j’y distingue la supériorité de la vaste Turquie sur la petite Grèce de rien du tout. Evidemment, c’est sur ce genre d’attitude que se rapprochent ou au contraire se fâchent les hommes en uniformes, qu’ils soient policiers ou militaires de fortune. Parce que, tout bien considéré, la petit Grèce de rien du tout est bel et bien aujourd’hui la Grèce de l’Union Européenne et la Turquie n’est autre que le parent pauvre frappant comme un sourd à la porte orientale de notre communauté de nations.

Charitos et la gourmandise. Je commande un ekmek. C’est à dire, selon les standards turcs, deux couches d’ekmek comme ceux que l’on trouve chez nous et un couche de kaïmak. L’ekmek est un entremets à base de pâte, de beurre et de sirop, le kaîmak est une crème fraîche si épaisse qu’on doit la couper au couteau.

Charitos et sa femme. Je n’aurai donc pas tout perdu, me dis-je. A tout le moins, j’ai appris que lorsque ma tendre moitié me fait une scène, elle ne le fait que par devoir conjugal. Il est donc inutile que je me prenne la tête dorénavant.

L’empoisonneuse d’Istambul, Pétros Markaris, Seuil Policiers, 20€

Merci à Dialogues Croisés pour cette réjouissante lecture.

Shangaï Moon

Au centre de l’histoire, des bijoux.

Des bijoux qui appartenaient à des réfugiés juifs autrichiens venus à Shangaï, à la fin des années 30, dans l’espoir d’échapper aux persécutions nazies et de commencer une nouvelle vie. Rosalie et Paul Gilder, âgés respectivement de 18 et 15 ans font, en effet, partie de ces vingt-cinq mille réfugiés qui ont débarqué en quelque mois dans cette ville chinoise. Ces bijoux sont leur sauf-conduit, ce qui leur permettra de survivre dans cette jungle d’un genre nouveau. Mais, dans cette région du monde marquée par de nombreux bouleversements politiques, Rosalie et Paul sont vite portés disparus, comme les bijoux qui leur appartenaient…

Des bijoux que Lydia Chin, jeune détective privée d’origine chinoise, est chargée de retrouver, en 2009, par une avocate suisse. Pour l’aider, seulement quelques lettres adressées par Rosalie à sa mère et tombées dans le domaine public à la fin de la guerre. Intrépide et pleine d’humour, Lydia se lance sur la piste de ce qui pourrait sembler, au départ, un jeu grandeur nature. Mais bien vite, les événements donnent à cette chasse un tour tragique car Joel Pilarsky, ami de Lydia et pourvoyeur de cette affaire, est tué dans son bureau. Pour Lydia, l’enjeu est désormais de retrouver les bijoux mais aussi l’assassin de son ami.

Difficile de résumer ce roman foisonnant, qui mêle passé et présent et aborde une partie méconnue de l’histoire, celle des réfugiés européens de Shangaï. La personnalité sympathique de Lydia, la double dimension du mystère – passée et présente -, l’accumulation patiente de preuves, les descriptions vivantes et drôles (notamment de Chinatown et de ses habitants), et la multiplication des péripéties scotchent le lecteur à cette histoire. Difficile de reposer le livre avant d’avoir compris les tenants et les aboutissants de ce polar complexe.

Shangaï Moon est le premier livre de S.J Rozan à être traduit en français… gageons que ce ne sera pas le seul!

Merci à Dialogues pour cette lecture captivante.

Shangaï Moon, S. J Rozan, Le Cherche-Midi, 21€