Archives pour la catégorie Dans le gueuloir de Gustave

Germinal

Morceaux choisis du célèbre roman d’Emile Zola qui me laissent penser que, dans le fond, rien n’a vraiment changé…

Au demeurant, il était accepté, regardé comme un vrai mineur, dans cet écrasement de l’habitude qui le réduisait un peu chaque jour à une fonction de machine (p187, édition Folio)

Sans aller chercher trop loin, il suffit ici d’évoquer le travail dans les centres d’appel…

Qu’on dise un peu si les travailleurs  avaient eu leur part raisonnable, dans l’extraordinaire accroissement de la richesse et du bien-être depuis cent ans? On s’était fichu d’eux en les déclarant libres : oui, libres de crever de faim, ce dont ils ne se privaient guère. Ça ne mettait pas de pain dans la huche, de voter pour des gaillards qui se gobergeaient ensuite, sans plus songer aux misérables qu’à leurs vieilles bottes. (p 194-195)

Et depuis vingt ans? Qui profite de l’extraordinaire accroissement de richesse? Quant aux gaillards qui nous gouvernent, jamais il n’ont fait plus de tort à la démocratie…

Sans doute on avait sa pâtée quand même, on mangeait, mais si peu, juste de quoi souffrir sans crever, écrasé de dettes, poursuivi comme si l’on volait son pain. (p 218)

Les travailleurs pauvres, ça veut dire des gens qui travaillent et ne gagnent pas assez pour en vivre. Est-ce qu’il y a une différence avec les mineurs de Zola? Quand on voit aujourd’hui la hausse constante des prix de l’immobilier, de toutes les denrées, comment vivre autrement qu’à crédit, c’est à dire… avec des dettes. Or, le crédit, c’est quand même la meilleure muselière du monde, non? Qui irait s’amuser à lever le poing, contester les méthodes de son employeur, réclamer de meilleures conditions de travail alors qu’à la fin du mois, il doit payer les traites de sa maison, de sa voiture, le petit crédit qui l’a aidé à boucler le budget de ses vacances et les études de ses enfants? Quand on songe que la génération de nos grands-parents pouvait s’équiper par l’épargne, en ne recourant que très exceptionnellement au crédit! A Douarnenez, dans les années 50/60, un marin qui faisait deux saisons de pêche à la langouste pouvait s’acheter une maison à son retour…

Est-ce honnête, à chaque crise, de laisser mourir de faim les travailleurs pour sauver les dividendes des actionnaires? (p 275)

Sans commentaire… L’histoire récente apporte toutes les preuves.

C’était le glas des petites entreprises personnelles, la disparition prochaine des patrons, mangés un par un par l’ogre sans cesse affamé du capital, noyés dans le flot montant des grandes Compagnies. (p 512)

Fonds de pension, multinationales, évasion fiscale…

La morale de notre histoire est que la raison du plus riche est TOUJOURS la meilleure…

Mémoires de ronces et de galets

Aujourd’hui, dans Le Gueuloir de Gustave, je vous propose un extrait des Mémoires de ronces et de galets, de Xavier Grall, poète, écrivain et journaliste breton. Il y parle de la maison qu’il a achetée dans la région de Trégunc et où il vient passer ses vacances, trois mois par an, avec sa femme, ses filles et son chien.

L’affaire avait été conclue très vite et quelques mois plus tard ce qui se mourait lentement avait été restauré, couvert d’ardoises, nettoyé, raclé, conservé dans son plan initial, rendu à la vie, restitué aux fêtes et aux chansons. De son lit d’orties elle surgissait maintenant, discrète, attirante, mystérieuse, sans nulle coquetterie, basse sous le vent, captant sur la pente bleuâtre du toit le message des ciels errants, la rage des pluies et le salut des migrateurs. Et j’aurais aimé que les hirondelles maçonnent leurs nids sous l’auvent et que sous notre regard elles distribuent la vie dans les petits becs avides mais elles ont préféré le conduit de ma cheminée et elle y retrouvent chaque année, mes Africaines, les deux nids qu’elles y ont fixés et qui forment deux poches grises dans un manteau de suie noire. Et c’est un bal de plumes et d’ailes chaque fois que les mères agiles se glissent dans le trou, apportant avec elles un morceau de ciel bleu et les mouches et les guêpes que gobent les petits, nés chez moi, en Cornouaille, dans ma fabrique de rêves et de poésie.

Mémoires de ronces et de galets, textes donnés à la revue Sav Breizh, Xavier Grall, An Here. 

Dans le gueuloir de Gustave

Certains le savent sans doute, Gustave Flaubert avait un « Gueuloir », une pièce où il disait, braillait, criait ses textes pour voir s’ils passaient la barrière de la voix, s’ils sonnaient juste, s’ils sonnaient bien…

Je vous proposerai de temps en temps des extraits de textes à lire à haute voix, rien que pour le plaisir d’entendre rouler et s’entrechoquer les mots, les avoir en bouche comme on goûte un bon vin.

Pour commencer, honneur à celui qui m’a donné cette idée : Gustave himself. Le texte est extrait de Par les champs et par les grèves et concerne le voyage de Flaubert à Belle-Ile.

Lui et son ami Maxime Du Camp sont à Quiberon et déjeunent en attendant la poste d’Auray avant d’embarquer sur la chaloupe qui les mènera sur l’île. Enfin, après des heures d’attente, au bout du chemin, un cavalier apparait…

La rosse était haute, cagneuse, osseuse, sans poils à la crinière, le sabot rongé, les fers battants; la croupière lui déchirait la queue; un séton suintait à son poitrail. Perdu dans une selle qui l’engouffrait, retenu en arrière par une valise, en avant par le grand portefeuille aux lettres passé dans l’arçon, son cavalier, juché dessus, se tenait ratatiné comme un singe. Sa petite figure à poils rares et blonds, ridée et racornie comme une pomme de reinette, disparaissait sous un chapeau de toile cirée doublé de feutre; une sorte de paletot de coutil gris lui remontait aux hanches et lui entourait le ventre d’un cercle de plis ramassés, tandis que son pantalon sans sous-pieds, qui se relevait et s’arrêtait aux genoux, laissait voir à nu ses mollets rougis par le frottement des étrivières, avec ses bas bleus descendus sur le bord de ses souliers. Des ficelles  rattachaient les harnais de la bête; des bouts de fil noir ou rouge avaient recousu le vêtement du cavalier; des reprises de toutes couleurs, des taches de toutes formes, de la toile en lambeaux, du cuir gras, de la crotte séchée, de la poussière nouvelle, des cordes qui pendaient, des guenilles qui brillaient, de la crasse sur l’homme, de la gale sur la bête, l’un chétif et suant, l’autre étique et soufflant, le premier avec son fouet, le second avec ses grelots; tout cela ne faisait qu’une même chose ayant même teinte et même mouvement, exécutant presque les mêmes gestes, servant au même usage, dont l’ensemble s’appelle la poste d’Auray.

Belle-Isle, Gustave Flaubert, Coop Breizh, 8€