De l’écrivain cubain, Léonardo Padura, on connait surtout le personnage de Mario Conde, le privé de la Havane. Un autre héros de polar récurrent et très attachant…
Dans L’homme qui aimait les chiens, l’écrivain change de registre. Il suit l’itinéraire de deux hommes qui ont marqué l’histoire. Le premier, Léon Trotski est, au moment où débute le récit, un homme poursuivi par la haine de Staline, qui a fait de lui un exilé, un paria. De la Turquie jusqu’au Mexique en passant par la Norvège, Trotski et les siens sentent, peu à peu, l’étau se resserrer, d’intimidations en menaces. Accusé des pires maux par une machine de propagande à la botte du dictateur, sans soutien ni moyen de se défendre, le fondateur de la IVème internationale sent la fin approcher…
Cette fin prendra le visage de Ramon Mercader, le deuxième homme. Jeune Espagnol poussé par sa mère à se montrer de plus en plus déterminé et héroïque, ce-dernier est bientôt embrigadé par les communistes. Il part en URSS, devient le « Soldat 13 » et reçoit un entraînement intensif pour devenir une véritable machine à tuer. Il prend ensuite le nom d’emprunt de Jacques Mornard et c’est sous cette identité qu’il sera chargé d’assassiner Léon Trotski.
Un troisième homme permet de faire le lien entre ces deux trajectoires : Ivan, un ex-écrivain cubain désabusé, dégoûté par les mensonges de la propagande communiste qu’on l’a obligé à ingurgiter pendant des années et qui rencontre sur une plage un homme qui promène ses chiens, deux barzoïs superbes. Peu à peu, Ivan et l’inconnu se lient et Ivan devient alors le confident d’une stupéfiante histoire…
A travers ces trois portraits, Léonardo Padura revient sur une des plus grandes idéologies du XXème siècle, idéologie dévoyée au profit d’un petit nombre et qui a fracassé des milliers de vies sur les écueils du mensonge et du crime à l’échelle d’un continent.
L’Union soviétique léguerait aux temps futurs son échec et la peur de plusieurs générations en quête d’un rêve d’égalité qui, dans la vie réelle, était devenu le cauchemar de la majorité.
L’homme qui aimait les chiens est un livre dense, extrêmement documenté, un pavé de 650 pages qui vous cale le ventre comme un bortch roboratif. C’est aussi une manière de mettre l’histoire – la petite et la Grande – en perspective, de dénoncer la réalité politique et sociale encore à l’œuvre à Cuba et d’amener chacun à réfléchir, incidemment, sur des choix de société à faire pour l’avenir. Un livre ambitieux et une charge féroce contre toutes les dictatures…
J’ai voulu me servir de l’histoire de l’assassinat de Trotski pour réfléchir à la perversion de la grande utopie du XXe siècle, ce processus où nombreux furent ceux qui engagèrent leur espérance et où nous fûmes tant et tant à perdre nos rêves et notre temps, quand ce ne fut pas notre sang et notre vie, explique Leonardo Padura dans la postface.
Un grand merci à Keisha qui m’a prêté ce roman et en a fait un solide compte-rendu. A lire aussi, le billet très complet d’Ys.
L’homme qui aimait les chiens, Leonardo Padura, Métailié, 24€