La théorie de la communication

Dans le livre d’Alice Kuipers, Ne t’inquiète pas pour moi, la théorie de la communication pourrait se résumer ainsi : un émetteur (la mère /la fille), un récepteur (la fille/ la mère), un media (des post-its) et un medium (un bon gros réfrigérateur américain qui fait des glaçons…). Unité de lieu, unité d’action et unité de conservation. La mère est accaparée par son travail, la fille par ses études, ses amies et ses soirées baby-sitting. Elles ne se voient jamais ou si peu. Le refrigérateur XXL – pourtant souvent vide… – leur sert donc de boite aux lettres et elles s’écrivent des petits mots, auxquels se mêlent parfois des listes de choses à acheter. L’histoire commence doucement, comme pourrait commencer toute histoire entre une mère divorcée et une fille adolescente et puis, peu à peu, les messages évoluent quand on comprend que la mère est atteinte d’un cancer…

J’ai trouvé ce livre dérangeant mais pas forcément pour les raisons qu’on imagine. D’abord, ce mode de communication entre la mère et la fille, qui n’arrivent jamais à passer plus de quelques heures ensemble, est à mes yeux révélateur d’une société complètement absurde où l’on fait des enfants mais où l’on n’a pas le temps de s’en occuper. Ou bien si on a le temps, on n’en a pas les moyens. Mais apparemment, critiquer notre monde absurde n’était pas le sujet du livre…

Ensuite, le contenu du roman est très très léger – et se résume, au début, à quelques clichés : l’ado qui réclame de l’argent, la mère qui lui demande d’être responsable et lui rappelle d’acheter des brocolis, l’ado qui réclame que sa mère soit plus présente pour elle… Rien de nouveau sous le soleil de Vancouver… On a l’impression d’avoir lu ça mille fois. Au moins…

Enfin, il y a ce tour dramatique que prend l’histoire. Forcément, ça ne peut QUE toucher le lecteur mais n’est-ce pas là un procédé un peu artificiel? N’est-ce pas un moyen de donner facilement du poids à une historiette qui, au départ n’en avait pas beaucoup? Prenez une histoire banale, rajoutez une touche de sida, une maladie orpheline ou bien une bonne méningite et tout de suite, l’histoire prend un virage tragique qui ne peut laisser personne indifférent. Surtout pas les fans du docteur H!

Ces trois remarques posées, reste un dernier constat, le plus terrible de tous : la maladie ne change rien dans leurs relations. Mère et fille ne se voient pas davantage, elles ne se comprennent pas mieux, elles restent, chacune, isolées dans la bulle créé par l’autre. Comment croire qu’une chose pareille est possible? Franchement? Quelle est donc cette mère qui, condamnée, ne change rien et ne cherche pas à voir davantage les siens? A profiter de ses dernières semaines de vie? Quelle est cette fille qui ne rue pas dans les brancards mais continue sa petite vie d’adolescente comme si de rien n’était? Bon, d’accord, elles lisent toutes les deux des livres sur le sujet et vont ensemble à un groupe de soutien mais enfin, c’est un peu limite, non?

Au final, la mère meurt. La fille va vivre chez son père. Et quoi? Rien… Personne n’en retire aucune leçon. Même pas de morale à Jean de la F.

Aussi, on peut très bien imaginer que le père va adopter le même mode de communication avec sa fille, lui laisser des post-its sur le bon gros réfrigérateur qui fait des glaçons jusqu’à ce qu’une crise cardiaque l’emporte. Et alors, la fille se retrouvera seule face à son frigo. Marquée à jamais par ces deux disparitions, elle deviendra cette dangereuse psychopathe qui annoncera à ses victimes leur mort prochaine… par des post-its sur leur frigo!!! Non, pardon, je crois que j’ai ingurgité trop de séries américaines… Mais vraiment,  j’ai trouvé ce livre creux, vain et stérile. Il n’y a même pas un peu d’humour pour rattraper le coup…

En tout cas, je suis rassurée : mon réfrigérateur n’a pas de paroi métallique et je ne laisse jamais de post-it dessus…

Ne t’inquiète pas pour moi, Alice Kuipers, Albin Michel Jeunesse

32 réflexions sur « La théorie de la communication »

    1. @ Clara : merci, je me sens moins seule. Je sais que ce livre en a enchanté plus d’une… Alors, je m’attends à une rafale de commentaires indignés! 😉

  1. Je me souviens qu’on l’a beaucoup vu sur les blogs il y a quelque temps. Je n’ai jamais eu envie de le lire, pressentant un peu ce que tu exposes aujourd’hui.

  2. C’est très exactement ce que je craignais avec ce roman que je ne me suis toujours pas décidée à lire : le jeu dur l’affect à travers la gravité du sujet.

    1. @ Emmyne : j’ai trouvé ça particulièrement maladroit et aussi un peu malsain de jouer ainsi avec les émotions des jeunes à qui est destiné ce livre…

  3. Si je n’ai pas envie de lire cette histoire, j’attends en revanche avec impatience que sorte le prochain épisode signé de ta main. Cet aspect de l’histoire possède un réel potentiel 😉

  4. alors tu vois j’ai lu ce roman il y a quelques années et je n’avais pas vu les choses sous cet angle là. Peut être parce que ce livre me touchait en plein coeur puisque ma maman est décédée d’un cancer en janvier 2008. Peut être parce que effectivement, comme la jeune fille, j’ai continué ma vie, continué à travailler quand maman a été hospitalisée les derniers temps parce que je ne voulais pas croire qu’elle allait mourir, parce qu’elle me demandait de ne rien changer, parce que on a besoin de souffler entre deux visites à l’hôpital, d’être pris dans le flot ininterrompu de la vie. Alors tu as peut être raison ce livre ne va pas plus loin que cet échange de post it et peut être qu’il ne m’a pas paru léger dans le contenu car j’avais mon vécu pour compléter… Intéressant ton billet, intéressant.

    1. @ Lucie : tu l’as lu à un moment où il ne pouvait que trouver des échos en toi. J’aurais aimé que l’auteur choisisse : ou bien aborder les difficultés de communication entre une mère et sa fille ou bien parler de l’effet d’une maladie grave dans une famille. Là, elle mélange tout, jette le pavé dans la mare. Evidemment, ça éclabousse mais ça n’est pas très fin ni très travaillé… Le deuxième sujet est trop grave pour être ainsi traité par dessus la jambe.

  5. Tu résumes bien mon ressenti (et pourtant je suis fan du docteur H ! mdr !). Franchement, cette relation quasiment inexistante malgré la maladie (qui aurait pu servir de déclencheur pour réaliser son absurdité) ne m’a ni vraiment émue ni convaincue !

  6. Pas de commentaire indigné de mon côté, mais je ne reconnais pas le livre que j’ai lu dans ce que tu en dis (et j’apprécie le ton que tu y as mis 🙂 !) (pourtant je n’ai jamais regardé le docteur H): au contraire, j’ai le souvenir (en toute honnêteté, rafraîchi par la relecture de mon billet, car je me souvenais d’avoir aimé le livre, mais sans être capable d’argumenter) d’un texte pudique, où le lecteur devinait entre les ellipses l’évolution des personnages et j’avais aimé cette manière de procéder (ah, là, je sens que tu vas dénoncer le « procédé », justement !), oui, ce roman m’avait touchée sans que j’aie jamais eu l’impression que l’auteur ait voulu jouer la carte du mélodrame (mais tu as ressenti l’inverse, j’ai bien compris).

    1. @ Brize : non, je suis d’accord, on peut dire beaucoup avec peu de mots mais là, le mélange des genres, la maladie qui assène un coup de penn-baz (pour rester dans les bretonnismes… ;-)) sur la tête du lecteur, c’était trop pour moi!

    1. @ David : peut-être en ai-je trop dit mais difficile de faire un billet argumenté sans raconter un peu l’histoire… Désolée si je t’ai dévoilé involontairement le pot aux roses! 😆

  7. Je n’ai pas vu les choses ainsi car contrairement à toi l’histoire m’a paru plausible (un peu extrême sans doute mais pas si surprenante que cela). Une femme médecin, très impliquée dans son travail, peut je pense (à tort c’est certain !) avoir ce type de relation avec sa fille ado. Leurs relations ont tout de même évolué vers la fin si je me souviens bien.
    La morale est pour moi implicite : ce n’est pas un modèle à suivre !
    Là où je suis d’accord avec toi, qu’on est à fond dans le pathos… Ne cherche pas mon billet, je n’en avais pas fait.

    1. @ Sylire : avec ce livre, j’ai l’impression que c’est tout l’un ou tout l’autre. On aime beaucoup ou pas du tout… Je te rejoins sur la morale de l’histoire en tout cas! 😉

  8. Même pas connaissance de ce livre! Mais ce n’est pas interdit de post-iter son frigo? Ou de le magnéter? Chez moi ça sert à ne rien oublier, rendez vous, etc…

    1. @ Keisha : mais oui, on a le droit de mettre des post-its sur son frigo! En fait, tout ça c’est parce que je suis jalouse! Je peux rien accrocher sur mon réfrigérateur… c’est trop inzuste! 😆

  9. Je peux comprendre tes arguments, pourtant, j’ai envie de dire que des moments de vie difficiles ne font pas forcément changer la façon qu’on a de vivre.
    Des milliards de réaction possibles et j’imagine fort bien celle du roman.
    L’écriture m’avait touché.
    Malgré tout je te trouve dure.

    1. @ Clair de jour : j’ai écrit ce billet avant de faire une pause. C’est peut-être le signe que j’en avais vraiment besoin! 😉 Pour moi, pas de sensibilité dans ce livre, simplement des artifices, plus ou moins subtils. Mais je suis d’accord avec toi, en toute occasion, grave ou non, il n’y a pas qu’une manière de réagir et ça ne nous fait pas changer pour autant…

  10. J’avais justement aimé ce côté « texto » qui montre qu’on ne prend plus le temps de communiquer. On ne prend plus vraiment le temps de rien.
    Mais je peux aussi comprendre ton agacement ! 😉

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