Les plumes à thème d’Asphodèle

logo-plumes2-lylouanne-tumblr-comVoilà les mots de la semaine, précieusement récoltés par Asphodèle : liberté, fusée, nature, étoile, respiration, steppe, vital, étendue, océan, voiture, majestueux, claustrophobie, galaxie, infini, atmosphère, cosmos, euphorie, évidemment, éclipser. 

Les liens vers les textes des autres participants sont à découvrir chez Asphodèle.

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© Hergé – On a marché sur la Lune

Petit, Siméon voulait devenir conducteur de fusée. Il se rêvait en combinaison spatiale, aux manettes d’un engin oblong, comme un cigare, et tout revêtu d’argent. Il s’imaginait assis dans un fauteuil majestueux, devant de multiples cadrans, explorant le cosmos, tutoyant les galaxies. Il se disait qu’il serait le premier homme à aller vers l’infini. Rien ne pourrait s’opposer à ce rêve, à part, peut-être ce léger souci qu’on appelle claustrophobie.

 Aujourd’hui, Siméon a quarante ans. Il n’a jamais quitté l’atmosphère terrestre. Il est toujours claustrophobique. Il ne prend jamais le métro ni les transports en commun. Il ne va pas au cinéma ni au supermarché. Il travaille derrière un guichet du mardi au samedi. Quand il y a trop de monde devant lui, dans la queue, il fait cet exercice vital recommandé par son psy. Il évoque en pensée ces images de chevaux galopant en toute liberté dans la steppe, ou bien l’étendue bleue de la mer parsemée de voiles blanches. Quand sa journée de travail se termine, il rentre chez lui en voiture.

 Avec les années, évidemment, la réalité a éclipsé tous ses rêves d’enfant. Le temps n’est plus à l’euphorie et encore moins à la folie. Il faut être sérieux, responsable, remplir ses objectifs et ne pas faire trop de bruit. Siméon est un individu comme les autres. Un homme gris qu’on remarque à peine derrière son guichet ou son volant. Il ne se trouve pas beaucoup de qualités et ses rêves sont ternis, comme ces morceaux de verre qu’on ramasse sur la plage et qui ont été roulés très longtemps sur le fond des océans. Ses voisins le trouvent discret ; sa concierge, bien comme il faut. Son percepteur n’a pas à se plaindre de lui. Son patron l’estime plutôt performant. Il est efficace et discret, c’est dans sa nature.

Il vit à la campagne, dans un vieux moulin à vent qui n’a plus d’ailes. Il faut gravir centre trente-neuf marches pour arriver en haut. Sa maison, c’est son nid. Un lieu entre ciel et terre où plus rien ne peut l’atteindre. Dans un fauteuil majestueux, il guette la nuit, comme un amoureux la bougie à la fenêtre de sa belle. Alors il tourne ici, ajuste là et braque enfin sa lunette astronomique sur le ciel couleur d’ébène. Puis, du bout des cils, Siméon caresse longuement la chevelure scintillante des comètes et sourit.

30 réflexions sur « Les plumes à thème d’Asphodèle »

  1. Très beau texte Gwen, j’aime l’image des rêves roulés par les vagues comme des tessons de bouteille… Que sommes-nous devenus ? Mais 138 marches !!! Il n’a pas d’arthrose ce Siméon !!! 😆

    1. @ Asphodèle : les 138 marches, c’est un clin d’œil détourné à notre Monsieur Cinéma, j’ai nommé Wens! 😉 Mais où il est au fait, l’animal???

      1. Il tourne un remake de « un été chez grand-père » , à moins que ça ne soit « faut pas pousser grand-père dans les orties « …………….

  2. Un moulin sans aile, c’est une fusée qui a oublié de décoller…
    Quelle poésie dans ce texte tout en délicatesse. Caresser la chevelure des comètes…nous avons les mêmes valeurs, comme tu t’en apercevras peut-être en venant chez moi…d’ailleurs, a ce propos, n’as-tu pas remarque qu’il manquait un petit bout a ta fusée de Tintin? Excuse moi, j’en avais besoin pour mon histoire… 😉

  3. Je connaissais Les 39 marches d’Htitchcock mais Les 139 marches de Gwen valent le détour.Des matins de gris au céleste flamboyant de nuit il n’y a que 139 pas.

  4. Malgré sa petite vie ordinaire d’homme bien rangé et sa claustrophobie, Siméon a su préserver ses rêves d’enfants sans tout à fait renoncer. C’est une belle leçon de vie.
    Au fait, j’ai eu beau scruter le dessin, je n’ai pas réussi à voir le petit bout de fusée prélevé par Célestine… 🙂

  5. Ton texte est très touchant. Je connais une Siméon, qui se raccroche elle aussi à ses rêves d’enfant – pour ne pas sombrer.

  6. Moi je le trouve triste, ce texte, même s’il sourit à la fin. J’ai ressenti de la solitude en le lisant…

  7. Pourquoi en déduire que Siméon n’a pas réalisé son rêve ?
    Je trouve au contraire qu’il a su s’aménager une vie qui lui convient. Quel bel endroit, ce moulin en pleine campagne qui lui permet d’avoir la tête dans les étoiles, à sa façon. Gwen, j’aime beaucoup ton écriture et cette histoire
    Bisous d’O.

  8. Et bien voilà, je crois que j’ai oublié de commenter. Groumpf !
    Joli texte en tout cas – et moi aussi, j’ai pensé à la fusée de Tintin pour mon texte.

    1. @ Nunzi : je n’ai pas encore eu le temps d’aller voir tout le monde, moi non plus… J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de participants à chaque fois!

  9. Tu écris superbement. J’ai ressenti beaucoup de tristesse pour ce Siméon qui n’a pu réaliser son rêve. Et malgré cela il a su créer son petit monde dans son moulin avec sa lunette, pour pouvoir s’évader d’un quotidien peut-être pesant ou du moins pas aussi aventureux que son rêve 😉
    J’ai vraiment beaucoup aimé 😀
    Bonne soirée !

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