Il faudra qu’un jour les scientifiques se penchent sur l’effet que peut avoir une belle couverture de livre sur un amoureux de la lecture…
Car après avoir lâché en cours de route Géométrie d’un rêve, je n’avais pas spécialement envie, là, tout de suite, d’un livre d’Hubert Haddad. Mais c’était sans compter sans cette couverture superbe, tentatrice, qui m’a happé le regard, forçant ma main à se tendre et à se saisir de l’ouvrage…
Le peintre, c’est Matabei Reien, un homme qui a fui la ville à la suite d’un accident de voiture où une jeune fille a perdu la vie et qui s’est réfugié dans la contrée d’Atora, d’où celle-ci était originaire. Il s’installe dans la pension de Dame Hison, une ancienne courtisane. Là, il fait connaissance avec les autres pensionnaires ainsi qu’avec Osaki Tanako, un peintre d’éventails.
Matabei s’attache au vieil homme et au jardin magnifique que ce dernier entretient. Une complicité nait entre eux et Matabei devient alors, sans vraiment l’avoir voulu, son disciple. Plus tard, il aura à son tour un apprenti en la personne de Hi-Han, le narrateur de cette histoire.
Dans le cadre idéal de ce jardin dont les couleurs changent au fil des saisons, l’amour va et vient. Les hommes et les femmes s’aiment ou se déchirent. Les esprits sont partout et le temps semble suspendu.
Je n’en dis pas plus. C’est un livre magnifique. Hubert Haddad a su merveilleusement transcrire ce Japon millénaire et son âme. Comme le peintre d’éventail, il le fait avec grâce et simplicité. Les mots, précis, ajustés, longuement polis, font surgir les perspectives du jardin et des âmes de ceux qui y vivent. Il y a tant de passages superbes qu’il est impossible de tous les citer.
Le ciel peu à peu s’éclaircit ; du brouillard ne persistait plus qu’un nimbe entre le soleil et les contours bleutés du lac. Ce jour d’automne était d’une insolite douceur après les pluies de tempête. Une quiétude un peu irréelle émanait du rapprochement fondu des perspectives coulissant comme de fins décors de théâtre. Par contraste, gigantesque, le volcan éteint pivotait avec lenteur et solennité autour de la barque minuscule. Les rives les plus reculées échappaient à son ombre, du côté des plantations de théiers. Sur fond de rochers et de lianes, à l’abri d’un grand cèdre, une pagode à deux niveaux se dédoublait elle aussi, dans ces eaux profondes qui selon l’orientation, viraient du noir anthracite au vif argent.
Mais là où tout n’est que calme et volupté, peut aussi surgir l’imprévu ou le drame. La nature patiemment maîtrisée se rebelle parfois et c’est alors le chaos qui prend la place de l’harmonie. Les productions humaines, si délicates fussent-elles, sont alors bien fragiles et dérisoires. Cependant, il est du devoir des hommes, d’un homme, de les sauver pour que subsiste, malgré la mort et la désolation, l’esprit du sublime Japon…
La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c’est bien la seule chose qui importe. Il s’épanouira dans une palpitation insensée d’éventails.
Le peintre d’éventail, Hubert Haddad, Zulma.
L’avis de Jérôme.