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La commissaire n’aime point les vers

Je l’attendais impatiemment. D’abord contrariée par l’impossibilité de trouver ce roman policier dans les librairies où je l’ai cherché, j’ai dû ensuite prendre mon tour car mon mari a eu la primeur de cet opus à l’élégante couverture jaune et noire, au petit goût de Chapeau Melon et Bottes de Cuir mâtiné de James Bond… Mais une fois que je l’ai eu dans les mains, je ne l’ai plus lâché! Et en deux soirées, je l’ai dévoré…

On s’attache très vite aux deux personnages principaux, la commissaire Viviane Lancier et son adjoint, le lieutenant Augustin Monot qui forment un couple de sparring-partners de choix, tant dans les dialogues que dans leur fonctionnement… Il faut dire qu’on pourrait difficilement trouver plus dissemblables : d’un côté, une femme flic, fonceuse, pas très cultivée, qui se débrouille comme elle peut dans sa vie en solitaire, obsédée par son poids. De l’autre, une grande tige, un homme jeune et pourtant flegmatique, lettré, un peu naïf, sincère, impatient de bien faire. Entre eux, c’est le charme qui opère même si aucun des deux ne veut l’admettre… Or, les voilà mis sur la piste d’un étrange sonnet que d’aucuns attribuent à Baudelaire. Trouvé dans des circonstances énigmatiques, ce poème semble porter la poisse à tous ceux qui s’en approchent, de près ou de loin… Très vite, Lancier et Monot sont largués. Emmêlés dans les querelles d’experts, les prophéties d’une voyante, les témoins plus ou moins fiables, ils pataugent et se font régulièrement rappeler à l’ordre par leur supérieur qui veut des résultats. La presse, agitée par une dir’com plus ambitieuse que son ministre, n’est pas en reste et contribue à troubler l’eau saumâtre dans laquelle baigne toute cette histoire…

Ce qui charme, avant tout, dans ce roman, c’est le style et l’humour avec lequel l’auteur campe ses personnages et déroule son histoire. On sourit, on rit, on se dit que c’est bien vu. Le tandem Viviane/Augustin amuse le lecteur qui s’attache, c’est obligé… C’est une lecture très agréable, un vrai divertissement. L’histoire prend parfois des allures abracadabrantesques cependant et j’ai trouvé que Viviane manquait de ces petits tics, de ces habitudes qui marquent la féminité. Pas de sac, pas de maquillage, pas de séance d’auto-questionnement dans le miroir… Comme d’autres blogueuses, je n’ai pas compris son geste à la fin… qui casse l’effet de réel. Nul doute qu’après un tel acte, elle va devoir, dans le prochain tome, se pencher sur ses abîmes intérieurs en compagnie d’un psychologue chevronné pour comprendre pourquoi elle a fait ça… car je suis sûre qu’elle ne le sait pas elle-même!

George Flipo, le père de cette Commissaire, possède un blog sur lequel il narre ses aventures d’écrivain, dévoilant avec malice les coulisses de ses créations. A visiter d’urgence… mais seulement après avoir lu le livre!

La commissaire n’aime point les vers, Georges Flipo, La Table Ronde, 18€

Un avis totalement différent, celui de Schlabaya, qui n’a pas apprécié ce premier opus des aventures de Viviane

 

L’année brouillard

L’intrigue de ce roman est simple. Une jeune femme, Abby, se promène sur une plage de San Francisco avec Emma, six ans et demi. La petite est la fille de Jake, l’amoureux d’Abby. Ce jour-là, il fait relativement froid, il y a du brouillard et très peu de promeneurs sur la plage. Emma veut gambader. Abby lui lâche la main et, durant quelques secondes seulement, voit son attention attirée par le cadavre d’un bébé phoque. Quand elle relève les yeux et cherche Emma du regard, l’enfant a disparu.

Ce roman est celui d’une quête. Celle de Jake bien sûr, mais surtout celle d’Abby qui se sent coupable de n’avoir pas suffisamment fait attention à Emma. Elle veut à tout prix réparer son inattention et pour cela, il n’y a qu’une solution : retrouver la petite. Commence alors pour elle et pour le père de l’enfant un véritable cauchemar où l’espoir le plus insensé le dispute au désespoir le plus noir. La disparition d’Emma creuse un vide immense entre eux. Leur amour se délite au fur et à mesure que les jours passent, sans apporter la moindre piste. Le temps se dilate, s’alourdit et chaque journée n’est consacrée qu’à la recherche l’enfant. Toute leur énergie se concentre sur ça : chercher inlassablement, mobiliser les bénévoles, quadriller chaque quartier de San Francisco, distribuer des affiches, trouver à tout prix des indices.

Abby n’en finit pas de fouiller sa mémoire, persuadée qu’elle détient la clé qui lui permettra de remonter la piste jusqu’à cette enfant qu’elle chérit plus que tout. Aidée par une voisine bibliothécaire qui lui fournit des livres afin de l’aider à orienter ses recherches, Abby finit par douter de ce qu’elle a vraiment vu, de ce dont elle se souvient. La mémoire est malléable, sensible et, comme sur les photos qu’Abby développe dans sa chambre noire, deux images peuvent très bien se superposer et pourtant donner l’impression de n’en former qu’une seule.

L’année brouillard évoque aussi l’amour maternel. Un amour qui n’est pas inné – puisque la propre mère d’Emma n’a jamais manifesté autre chose que de l’indifférence à l’égard de sa fille – mais plutôt construit, au fur et à mesure que la relation se développe. La disparition d’Emma fait prendre conscience à Abby qu’elle aime Emma comme sa propre fille, plus encore qu’elle n’aime Jake. Et comme reliée à l’enfant par un fil invisible, elle ne désespère jamais. Elle garde foi et reste persuadée que sa volonté, son opiniâtreté vont lui permettre de retrouver la petite.

Ce livre est assez long – un peu plus de cinq cents pages – et ce serait mentir que de dire qu’il n’y a pas, parfois, des longueurs, des répétitions. Mais cela contribue à donner cette impression de dilatation du temps, à évoquer le ressassement dans lequel se trouvent les personnages qui essaient de comprendre le « pourquoi », le « comment » sans jamais y parvenir. Le cauchemar traversé par Jake et Abby en devient presque tangible et on se réjouit, en tant que lecteur, de n’avoir pas besoin d’attendre une année entière pour découvrir le dénouement de cette histoire très prenante.

A lire aussi, les avis de Cuné et de Cathulu

L’année brouillard, Michelle Richmond, Buchet-Chastel, 25€

 

La diagonale du traître

C’est d’abord le billet de Cuné qui m’a donné envie de lire ce recueil de nouvelles. C’est ensuite l’envie de découvrir ce que Dialogues, grande librairie de Brest (voire « la plus grande librairie du grand Ouest! »), pouvait faire en tant que jeune maison d’édition. Poussée par ces deux forces (quasi-)irrésistibles, je me suis donc procuré ce recueil d’Hervé Hamon, La diagonale du traître. Un ensemble de douze nouvelles qui abordent, chacune à sa manière, la trahison ou ce que l’on suppose telle, sous ses formes les plus variées… Petit bémol par rapport à l’analyse de Cuné, je n’ai pas été emballée partoutes ces histoires. Certaines, et notamment celles derrière lesquelles on sentait un certain vécu, m’ont parues de bien meilleure qualité que d’autres, plus « bateau », dirais-je, pour rester dans l’ambiance brestoise (où j’étais d’ailleurs hier!).

Nouvelle star fait partie de celles qui m’ont le plus emballée, tant le regard porté sur la célébrité, le désir de paillettes et de strass qu’on peut trouver en toute midinette est juste. Une soif de reconnaissance doublée d’un individualisme forcené et d’une certaine aptitude à la manipulation. Mais telle n’est pas prise celle qui croyait l’être, telle pourrait être la morale déformée de cette histoire.

Evidemment, Zouzou, c’est pas les histoires d’amour qui l’encombrent. Parce qu’elle a rien pour elle, rien de rien. Déjà qu’elle est négresse, c’est pas de pot. Mais, ça encore, y ‘en a qui assument. Le pire, avec Zouzou, c’est qu’elle est hyper-grosse. Et pas qu’un peu. Grosse, grosse, voyez. Je dirais pas énorme parce que c’est désobligeant, mais limite, carrément limite. Limite énorme. Ses bras, on dirait des cuisses, et ses cuisses, on ne sait pas trop quoi dire.

Dans Dégage, un homme se voit largué du jour au lendemain et sans ménagement. Il essaie de survivre, de faire bonne figure mais il semble que pour son ex-femme, cela ne soit pas encore suffisant. Mr Singh nous fait voyager en Inde d’une manière très particulière et 53ème Congrès dévoile le vrai visage de la politique à la française. Dans Tellement formidable, on comprend comment se prennent – ou pas! – les décisions dans le milieu de la production télévisuelle. Les descriptions sonnent juste et ce sont les travers de notre société moderne qui sont observés, grossis et dont le dérisoire ou le ridicule finit par nous sauter au visage.

Le protocole était toujours le même. Seules les têtes changeaient. Très souvent. Pas les petites têtes, non. Les grosses, les pensantes, les têtes de décideurs, les têtes à budget. Avant de les rencontrer, il fallait gravir les marches, passer sous le portique de détecteur de métaux, se présenter à l’accueil où on remettait aux visiteurs un badge contre une pièce d’identité, prendre l’ascenseur et s’élever dans la cathédrale de verre, dominer le vertige du vide s’ouvrant sous les pieds, enfiler trois couloirs et s’arrêter enfin à une sorte d’espace d’attente, non-lieu garni de fauteuils en mousse.

L’infidèle, avant-dernière nouvelle du recueil, est peut-être celle qui m’a touchée le plus car elle aborde ce moment de maturité où se flétrissent les illusions qu’on avait encore sur le monde et cette confiance, naïve, en une intelligence forcément victorieuse.

Ce que j’ai découvert, en « montant » à Paris pour préparer le concours, c’est l’abâtardissement de l’esprit, c’est l’avilissement de la pensée, c’est le règne absolu, sans vergogne, du conformisme le plus extrême, d’un conformisme raffiné, délibéré. Non point le règne de l’habitude, le poids de l’héritage. C’est plus réfléchi, plus conscient. Un abaissement collectif, cynique, stratégique. Un formatage raisonné.

Après avoir refermé le recueil, on a envie de l’ouvrir de nouveau, de piocher certains passages au hasard, d’entamer une deuxième lecture, plus approfondie. Car les nouvelles, malgré leur brièveté, sont un condensé de vie qui en dit plus long que certains romans.

Nota bene : un code permet de télécharger les nouvelles sur iPhone, iPod et autres petits jouets modernes… Bien utile quand on veut lire dans un métro bondé ou le soir, sous la couette, sans déranger l’autre! 🙂

La diagonale du traître, Hervé Hamon, éditions Dialogues, 17€50

 

No et moi

Lou Bertignac, 13 ans et des Converse toujours mal lacées aux pieds, est une jeune fille précoce qui n’en finit pas de s’interroger sur le monde. En classe de seconde, très en avance pour son âge, elle est inévitablement décalée, un peu solitaire, épaulée seulement par le rebelle de la classe, Lucas, qui lui a donné le charmant surnom de Pépite. Solitaire, Lou l’est aussi dans sa famille. Une mère dépressive qui ne la voit plus, un père débordé qui pratique souvent l’amour paternel façon brasse coulée… les soirées autour du dîner sont loin d’être drôles.

Sur un coup de tête, Lou décide de faire un exposé sur les sans-abri pour le cours de Monsieur Marin. Elle a repéré une fille, à la gare du Nord et se dit qu’elle pourrait peut-être l’aborder pour l’interroger. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de No, dix-huit ans et plus toutes ses dents, jeune zonarde qui tire derrière elle une valise bourrée à craquer, son seul trésor.

No et Lou se retrouvent dans un café pour discuter. Lou essaie d’en savoir plus sur la vie de No. Celle-ci est imprévisible. Tantôt loquace, tantôt mal lunée. Elle s’anime soudain puis tombe dans un mutisme incompréhensible. Pourtant, au fil des jours, Lou parvient à apprivoiser No et même à s’en faire une amie. Très vite, il lui parait impensable de ne pas aller plus loin dans sa démarche. Faire un exposé, c’est une bonne idée. Dénoncer l’injustice c’est un premier pas. Mais tenter de la réparer, c’est encore mieux. Un soir, Lou prend son courage à deux mains et demande à ses parents d’accueillir No…

Delphine de Vigan écrit là un roman sensible qui a vite fait de captiver le lecteur. Lou est surdouée mais elle pourrait très bien ne pas l’être : tous les jeunes de son âge sont sensibles à ces sujets, et plus particulièrement à l’injustice. C’est peut-être même le moment où l’on interroge le plus pertinemment le monde, sans hypocrisie et avec l’idée qu’il est possible de faire changer les choses. Ce roman, qui pourrait paraître d’emblée naïf est en réalité une réflexion sur l’humain et les choix qu’il fait, contraint ou non. C’est aussi une réflexion sur la société actuelle où les zones de non-vie se multiplient et se banalisent. Il faut le regard d’une enfant pour enfin y remettre une saine indignation.

No et moi, Delphine de Vigan, editions JC Lattès, 14 €