Et devant moi, le monde.

Joyce Maynard. Le nom de cette auteure américaine est surtout connu pour son roman, paru l’année dernière, Long week-end.

Et devant moi, le monde n’est pas un roman mais le récit de la vie de l’écrivain.

A peine reçu, je l’ai commencé et n’ai pas pu m’en détacher avant d’être arrivée à la dernière page. Car cette histoire personnelle, hors du commun à bien des égards mais qui possède aussi des traits universels, se lit comme un roman. Grossièrement, on pourrait distinguer dans ce récit deux parties : l’avant et l’après-Salinger.

Dans la première, Joyce Maynard évoque sa famille, son enfance, son éducation. Une éducation bien particulière, transmise par une mère frustrée de ne pouvoir exister socialement et qui reporte sur ses enfants, et sur Joyce en particulier, ses espoirs déçus, et par un père professeur, artiste peintre incompris qui sombre dans l’alcoolisme. Très vite, ses parents lui mettent un stylo dans la main et l’exhortent à écrire sur elle, sur sa vie. S’ensuivent alors de longues séances où Joyce lit son texte et où ses parents corrigent… Ils forment une famille un peu en marge, vivant dans une relative autarcie, considérant que peu d’étrangers sont dignes de faire partie de leur cercle. Joyce subit une relation fusionnelle avec sa mère et, à l’âge de l’adolescence, comprend qu’elle a des problèmes dans deux domaines : la nourriture et tout ce qui touche au sexe. Sans cesse encouragée par sa mère, elle envoie un jour un article au New York Times Magazine. Ce dernier est publié au printemps 1972 et rencontre un immense succès.

On entre alors dans la deuxième partie de ce récit car, parmi toutes les lettres enthousiastes que Joyce Maynard reçoit à la suite de cette publication, se trouve celle d’un certain J. Salinger, l’auteur culte de L’attrape-cœurs. Commence alors entre la jeune étudiante et le romancier, alors âgé de plus de cinquante ans, une correspondance nourrie et de plus en plus tendre qui débouche bientôt sur un week-end que Joyce va passer chez l’écrivain. En quelques mois, Joyce se laisse convaincre d’abandonner ses études prometteuses à Yale pour aller vivre avec Salinger. Ce dernier, en guerre contre la marchandisation à l’œuvre dans la société américaine, vit reclus, en ascète, se passionnant essentiellement pour la méditation, l’homéopathie et l’écriture, évidemment. Peu à peu, des problèmes surgissent entre eux. Joyce est incapable d’avoir des rapports sexuels. Elle rêve de gloire, de se faire un nom, pour vivre de sa plume. Or, Salinger n’a que mépris pour ce genre de choses. Au bout de quelques mois, il la renvoie, purement et simplement, en lui faisant comprendre qu’il ne veut plus rien avoir à faire avec elle…

Joyce, avec l’argent de son premier roman, achète une maison isolée dans la campagne du New-Hampshire et essaie de se reconstruire. Elle est totalement anorexique, sans le sou, livrée à ses peurs et à ses espoirs. Curieusement, elle ne se laisse pas abattre et tente de reprendre pied. Elle travaille à l’écriture de plusieurs articles, qui paraissent dans des magazines et lui permettent de survivre. Bientôt, elle rencontre un homme, l’épouse et devient mère pour la première fois…

Ce roman d’une vie, Joyce Maynard l’a écrit pour revenir sur son passé et essayer de comprendre la singularité de sa trajectoire. Comprendre aussi pourquoi le premier homme qu’elle a aimé l’a traitée comme un kleenex. Le lecteur suit, tour à tour effaré ou plein d’empathie, les remous de cette vie qui est tout sauf banale. Les sujets abordés : l’alcoolisme, l’anorexie, la manipulation, le chantage affectif, l’amour dévastateur de certains parents, la maternité, l’écriture bien sûr, les relations de couple permettent de passer du cas particulier à l’universel car nous sommes tous concernés, d’une manière ou d’une autre par ces thèmes.

Ce récit est celui d’une femme malmenée par la vie, un peu fêlée mais qui possède aussi un courage incroyable et ne se comporte jamais en victime. Peu importent les coups reçus, elle revient toujours sur le ring et continue à écrire, quoi qu’il arrive. Un témoignage haletant et qui donne vraiment matière à réfléchir.

J’avais toujours cherché à comprendre le sens de mes expériences sans tenir compte d’un élément crucial. Il y a encore deux ans, je n’aurais pas été capable de dire ce qui, dans la façon dont j’avais vécu avant de rencontrer Jerry Salinger, lui donnait sur moi un pouvoir aussi immense et durable. Pas plus que je n’aurais pu dire en quoi les évènements de cette année passée avec lui avaient façonné la suite de ma vie. Et voilà que cela me frappait à présent à travers l’image de ma fille. Pendant des années, je m’étais accrochée à des secrets qui m’empêchaient de me comprendre ou de m’expliquer. J’ai senti qu’il était temps d’explorer enfin mon histoire.

Merci à Dialogues Croisés

A lire aussi, le billet de Cynthia.

Et devant moi, le monde. Joyce Maynard, Edition Philippe Rey, 22€

 

20 réflexions sur « Et devant moi, le monde. »

  1. J’ai lu dernièrement un billet de Cynthia sur ce livre qui m’a tout à fit convaincue. J’avais vu passer ce livre sans le noter parce que je n’aime pas les récits de vie, mais celui-là a l’air bien particulier et très intéressant.

    1. @ Ys : le billet de Cynthia est très complet et cite de nombreux extraits. Moi, c’est le hasard qui me l’a mis entre les mains, ce livre, et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il a bien fait les choses…

  2. Ce que tu dis de ce témoignage laisse deviner la même sensibilité et la même subtile évocation des sentiments humains que j’avais pu découvrir dans Long week-end. Je note ce titre avec d’autant plus de hâte que tu affirmes qu’il se lit comme un roman.

    1. @ ICB : ça m’a donné envie de relire ce livre, Long week-end, pour le faire avec un autre regard, mettre en parallèle l’expérience de l’auteur et ses mots…

  3. Au départ, j’avais peur que ce livre ne tourne qu’autour de Salinger (que je n’apprécie pas plus que ça) mais plusieurs billets m’ont convaincue que c’est un livre très intéressant et qui serait bien susceptible de me plaire 🙂

    1. @ Joelle : le mythe en prend un coup, c’est certain et si Salinger a occupé une place essentielle dans sa vie, elle ne fait pas tourner son récit seulement autour de lui… Le portrait de la mère est aussi particulièrement impressionnant… Entre autres!

    1. @ Sylire : Cynthia en a parlé, d’ailleurs je vais mettre son billet en lien, je comptais le faire ce matin et pis j’ai oublié… Je crois que Cathulu (ou Cuné??) en a parlé aussi

  4. Merci pour le lien 😉 Un parcours de femme qui interpelle, c’est certain. J’appréhendais un peu le côté « ragot » mais finalement Joyce Maynard se contente de dire les choses simplement sans surenchérir ou enfoncer Salinger. C’est tout à son honneur d’ailleurs.

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