Le bureau vide

Marc Deleuze était DRH. Avant la fusion. Depuis, il occupe un bureau vide. Entièrement vide. Plus un seul meuble, plus de téléphone et même plus de porte. On devine derrière ce traitement, l’habituel savoir-faire des entreprises qui s’y entendent pour faire craquer leurs cadres, les pousser à la démission, afin d’économiser d’éventuelles indemnités. Mais voilà, l’ancien DRH ne craque pas. Il occupe ce bureau vide, se paye même le luxe d’arriver avant tout le monde le matin, histoire de voir la tête de ses anciens collègues… Avec une jubilation qui le protège de toute forme de dépression, il fréquente le self, les toilettes et s’est même mis à fumer pour pouvoir aller sur la terrasse réservée aux fumeurs… Parasite? Empêcheur de fusionner en rond? Peut-être… Il n’en a cure. Il laisse le temps faire son œuvre car il est bien placé pour savoir que nul n’est irremplaçable dans l’entreprise.

Croquant avec une verve qui porte à sourire les travers nombreux des entreprises, les méthodes iniques, les comportements peureux et grégaires des salariés, Frank de Bondt nous présente une image de l’entreprise qui ferait fuir même les jeunes ambitieux aux dents longues et donnerait à n’importe quel individu un peu sensé des envies d’élevage dans le Larzac. Tout plutôt que ce microcosme où chacun se croit indispensable, du numéro 1 à la secrétaire, alors qu’il n’est qu’un pion. J’ai particulièrement apprécié certains passages : le statut reflété par le « siège », les millions dépensés pour transformer le nom de l’entreprise – de Maison en Domus! – ou encore les interventions du sociologue dont les têtes pensantes attendaient « un diagnostic complet sur les composantes organisationnelles, relationnelles et culturelles du groupe, observé à partir de ces deux entités fondatrices et des propositions de solutions visant à pérenniser la légitimité des décisions institutionnelles ».

Le bureau vide est un roman court qui se lit avec plaisir, un roman qui moque et dénonce une société dont les organisations deviennent de plus en plus absconses, jargonnantes et creuses. Ce ne serait pas grave si la vie de milliers de personnes ne dépendait pas d’illuminés capables de dire « Nous devons éviter impérativement de juxtaposer des directions déjà pléthoriques, sous peine de dénaturer les stimuli stratégiques de l’équipe dirigeante »…

Les avis de Keisha et de Daniel Fattore

Le bureau vide, Frank de Bondt, Buchet-Chastel, 13€50

23 réflexions sur « Le bureau vide »

  1. Le début me fait penser aux heures souterraines de Delphine de Vigan…un bureau sans rien et surtout pas de travail pour faire craquer le personnage.

    1. @ Sylire : rassure-moi… on ne t’a pas donné un bureau vide, quand même? 😉 J’espère que tout se passe au mieux pour toi en tout cas… A bientôt! Biz

  2. Oh, non ! Pas vide, plein de dossiers et beaucoup de travail (mieux vaut trop que pas du tout, remarque). Ca va, je vois le jour mais pour cela je dois bosser à fond…

    1. @ Livvy : ce livre montre une certaine forme de « résistance »… cela dit, c’est du roman. Dans la vie, le harcèlement fait partie des attitudes les plus destructrices qui soient pour les victimes.

      1. Oui, j’avais saisi, c’est ce qui rend le roman attirant. 😉
        Et oui, je sais à quel point cela peut être destructeur – l’estomac noué, les nausées, pleurer avant d’aller travailler, pleurer en rentrant du travail, oser enfin répondre, se faire humilier et puis… et puis partir et affronter sa défaite, seule, sans boulot, sans force, sans courage, sans envie. Mais lorsqu’on s’en relève, on est plus fort; même si cela prend du temps.

  3. Damned ! Je m’inquiète soudain de ne pas t’avoir lue depuis un moment (je me dis : « Elle a dû partir en vacances décalées »), par acquit de conscience je te cherche dans mon GR qui affiche consciencieusement ton dernier billet : « Harlequinades 2010 », du 7 octobre. Je clique pour aller voir ton blog-it et pourquoi ce silence depuis presque un mois… et je tombe directement sur ce billet et découvre, dans la foulée, ceux que j’ai ratés (y compris celui où tu évoques les difficultés rencontrées sur ton blog), faute de « captation » par GR (et comme je suis pas mal de blogs, c’est vrai que j’ai tendance à ne pas remarquer tout de suite quand quelqu’un manque à l’appel) !

    1. @ Brize : oui, un gros blocage de mon hébergeur (mais il dit que ce n’est pas lui…) du coup, déménagement… Mais je n’ai pas encore rapatrié tous mes billets et j’ai dû perdre quelques fidèles en route mais maintenant, ça marche au moins! Par contre, tes commentaires filent toujours directement dans les indésirables! 😉

  4. J’ai travaillélongtemps en entreprise et j’ai vu par deux fois ce procédé fonctionner. Il faut avoir des nerfs d’aciers pour tenir ! Je ne sais pas si j’ai envie de me replonger dans cet univers…

    1. @ Océane : oui, parce que ça déborde des bureaux pour envahir la vie de tous les jours, la vie privée et que ça devient même un problème de santé publique… A pleurer, comme tu dis!

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